Requiem pour nos races – première partie
L'autre jour, j'ai eu une conversation intéressante avec mon ami Xavier Thibault. Xavier est un dresseur professionnel et, comme moi, il est passionné par les races françaises de chiens d'arrêt. Notre discussion tournait autour des problèmes auxquels de nombreuses vieilles races françaises sont confrontées de nos jours. Il semble que l'une de mes déclarations ait provoqué cette réflexion que Xavier a mise sur Facebook le lendemain :
"Je me permets ces quelques mots couchés avec le cœur sur du papier glacé; ce ne sont que quelques mots donnant suite à une conversation d’outre-Atlantique. Juste une phrase résumant ma pensée, juste une phrase résumant l’état des lieux. Cette phrase c’est celle-là :
Le problème avec les Français est qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils ont de vrais trésors entre les mains. Ils convoitent ce qui vient de l'extérieur alors que les plus belles races de chiens d'arrêt ont été créées en France. Aujourd'hui, ces races sont malheureusement tombées dans l'oubli dans leur propre pays.
C'est une phrase sans a priori de club, de profession, de passion; une phrase vue et dite par des yeux extérieurs. Sommes-nous aveugles pour ne pas voir ce trésor cynophile que représentent nos vieilles races? Sommes-nous aveugles au point de nier les qualités sur le terrain de ces races fabriquées, façonnées tels des outils précieux par des maîtres artisans afin d’en faire l’outil parfait alliant la justesse du terrain à l’avidité du gibier? Sommes-nous aveugles de laisser ce patrimoine unique s’évader hors de France ou disparaître?
Nos vieilles races nous appartiennent, elles font partie de nous, de notre mémoire collective de chasseur, celle où l’on partait à pied aux premières lueurs du jour traquer la caille ou le perdreau, d’un temps révolu où peu importait la vélocité, mais où chasser voulait encore dire quelque chose, ce temps révolu où chacun vantait les qualités de son chien de « terroir ».
Pourquoi bannir de nos mémoires ce trésor culturel, pourquoi bannir à tout jamais cette exception française? Le simple plaisir de recréer cette race jadis disparue, flatter un ego en ayant l’impression d’être le maître d’une race? N’aurions-nous pas mieux à faire que d’éviter la disparition de ce « trésor »?
Aujourd’hui, chacun croit détenir la vérité, alors que la vérité réside dans l’utilisation de nos races. Elles ne sont ni moins bonnes ni meilleures, juste adaptées à un mode ou à une pratique de chasse. Quel plaisir que de voir chasser nos vieilles races en évaluant le style et la passion de chaque chien! Quel plaisir pour certains de voir leur race de cœur évoluer dans le milieu, ou la région, pour lequel elle a été créée! Doit-on sacrifier ce trésor sur l’autel du toujours plus vite, toujours plus loin? Doit-on le sacrifier à la mode? Nos races font partie de nous, comme notre passion.
Est-ce si important de savoir qui a le meilleur, le plus beau, le plus...?
N’est-ce pas plus important de savoir d’où nous venons et surtout où nous allons? Aujourd’hui, certaines de nos belles races vivent sous perfusion tiraillées par l’esprit de clocher pour certains, le corporatisme pour d’autres, le financier pour beaucoup. Quand je vois dans certaines revues nos vieilles races bafouées par de pseudo-journalistes plus adeptes du « on m'a dit » que du « j’ai vu et je peux conclure que » sans aucune réaction de quelque côté que ce soit, mon cœur saigne de ces pseudo-vérités.
N’y a-t-il pas en ce bas monde des gens de cœur, des chasseurs ou des éleveurs sans arrière-pensée, sans ego démesuré, pour permettre à ce « trésor » de reprendre sa juste place en nos campagnes bourbonnaises, nos montagnes de l’Ariège, nos forêts franciliennes...? Nos vieilles races sont-elles vouées à rester dans les seules mains d’initiés à la motivation douteuse, de passionnés à la passion exclusive, et à disparaître? Ou doivent-elles se répandre au même titre que notre gastronomie, au même titre que notre savoir-faire?
La cynophilie se professionnalise, elle devient de plus en plus contraignante; doit-on sacrifier nos races sur l’autel de la rentabilité ou doit-on simplement se dire « cette race fait partie de mon patrimoine comme il en a été de mon père et de son père bien avant lui »? Nos races petit à petit partent vers d’autres horizons, voire d’autres continents; quel sera l’avenir, celui de l’importation où nous pleurerons nos qualités disparues ou ce point de standard si particulier?"
Quand j'ai lu les mots de Xavier, je me suis rendu compte que c'était peut-être la première fois que quelqu'un de l'extérieur de la France partageait ses pensées sur l'état précaire de certaines des races françaises. C’est ce qui m'a inspiré à réfléchir aux solutions possibles aux problèmes en France, problèmes qui sont également observés dans d'autres pays.
Tout d'abord, il est important de comprendre que les Français luttent depuis longtemps pour se réconcilier avec leur héritage en tant qu'éleveurs de chiens. Pendant plus de cinq siècles, les chasseurs français de diverses régions ont élevé des chiens parfaitement adaptés aux conditions locales. Certains de ces chiens ont fait leur chemin vers d'autres pays et sont à la base d'autres races de chiens d'arrêt. Puis, au début des années 1800, il y eut une sorte d'« invasion britannique » de la France lorsque des Pointers et des setters nouvellement importés capturèrent le cœur d'un grand nombre de chasseurs français. Par conséquent, certaines vieilles races françaises ont fini par disparaître et d'autres ont à peine réussi à survivre. J'ai écrit un article sur cette période de l'histoire du chien d'arrêt ici.
Aujourd'hui, les Français sont toujours attirés par des races qui viennent de l'extérieur de leurs propres frontières. Le Setter Anglais est maintenant la race la plus populaire en France parmi les chiens d’arrêt. Eh oui, une race indigène française, l'Épagneul Breton est encore en bon état, mais les éleveurs d'épagneuls de Pont-Audemer, de braques Saint-Germain et de braques de l'Ariège luttent pour produire quelques dizaines de chiots par an.
Cependant, les Français ne sont pas seuls. Les Anglais montrent aussi un vif intérêt pour les races étrangères et ils ont aussi plus ou moins abandonné leurs races de setters et le Pointer. En fait, le Setter Anglais, si populaire dans de nombreux pays du continent, a été déclaré « race indigène vulnérable » par le Kennel Club. Le setter Gordon, le setter irlandais rouge et blanc sont également sur cette liste. Par contre, presque 2 000 braques de Weimar, 1 500 braques allemands et près de 20 000 cockers sont enregistrés en Angleterre chaque année. Et la tendance n'est pas récente. Vers la fin des années 1500, le docteur Johannes Caius a écrit : « Il y a aussi aujourd'hui une nouvelle race de chien qui vient de la France (car nous, les Anglais, sommes des gloutons avides de nouveautés et des cormorans voraces de choses rares, inconnues, étranges et difficiles à obtenir). »
Aux États-Unis, les races les plus populaires viennent toutes de l'extérieur. Le Labrador, le Berger Allemand et le Golden Retriever occupent les trois premières places parmi toutes les races et le Braque Allemand est le plus populaire parmi les chiens d'arrêt. En Italie, le Setter Anglais vient au deuxième rang des races les plus populaires, juste derrière le Braque Allemand. En fait, jusqu'à 20 000 Setters Anglais sont enregistrés en Italie chaque année, plus que toutes les autres races de chiens d'arrêt confondues! Les Italiens produisent également chaque année environ 3 000 Pointers et plusieurs centaines de Setters Irlandais et Gordon. Contrairement aux Français et aux Anglais, les Italiens n'ont pas complètement tourné le dos à leurs chiens d'arrêt autochtones. Ils enregistrent environ 750 Braques Italiens et 550 Spinone chaque année.
L'Allemagne, d'un autre côté, est une sorte d'aberration. Non seulement est-ce que les Allemands élèvent moins de chiens par habitant que beaucoup d'autres pays, mais quand il s'agit de chiens d'arrêt, ils semblent préférer leurs propres races nationales. La race la plus populaire parmi les chasseurs allemands est le Deutsch Drahthaar, suivi par le Braque Allemand et le Petit Munsterlander. Bien sûr, les autres races de chien d'arrêt existent en Allemagne aussi et il y a même un club allemand pour les chiens d'arrêt français, mais les chiffres sont minuscules. L'année dernière, un total de 23 Épagneuls Bretons y ont été enregistrés. Curieusement, la race de chien d'arrêt non indigène la plus populaire en Allemagne est le Setter Irlandais, avec environ 350 inscriptions chaque année. Le Setter Anglais qui était assez populaire en Allemagne dans la dernière moitié du 19e siècle est maintenant à peine sur le radar avec une moyenne de seulement 75 enregistrements par an.
Alors, quelle est la solution? Quel avenir pour les vieilles races? Comment les Français (et les Anglais) peuvent-ils promouvoir, améliorer et finalement sauver leurs vieilles races? Pour le savoir, lisez mon blogue la semaine prochaine. Je vais explorer les défis et les possibilités dans la deuxième partie de cet article.